23
LE LOUP

Le troisième jour de leur périple, Onyx, Hadrian, Jenifael, Dylan et Dinath atteignirent le très large cours d’eau qu’ils avaient aperçu lorsqu’ils étaient sur la montagne. Aucune des rivières d’Enkidiev ne se comparait à ce fleuve majestueux. Toutefois, il représentait un obstacle de taille à leur expédition.

— La trace de la sorcière s’arrête ici, constata Dylan.

— Comment s’est-elle rendue de l’autre côté ?

— Contrairement aux grands chats de Rubis, les panthères ne craignent pas l’eau, les informa Dinath.

— Si c’est bien à la nage qu’elle a traversé ce fleuve, cela n’indique-t-il pas que le courant est très faible ? demanda Jenifael.

— Savez-vous tous nager ? demanda Onyx.

— Je me débrouille en eau peu profonde, répondit l’ex-Immortel.

— Dans ce cas, quelles autres solutions s’offrent à nous ?

— Je suis un puissant nageur, fit Hadrian. Je pourrais traverser le cours d’eau et revenir vous chercher avec mon vortex.

— Ou nous pourrions construire un radeau, proposa Jenifael.

— Ce qui prendrait des jours, objecta son amoureux. Je peux atteindre l’autre rive en quelques heures à peine.

— Moi, j’aime bien la solution qui comporte le moins d’eau possible, annonça Dylan.

— J’imagine que la lévitation est hors de question ? fit Dinath.

Hadrian déposa sa besace et retira ses bottes.

— Nous sommes censés prendre une décision en groupe, lui reprocha Jenifael.

— Onyx est d’accord avec moi, répliqua-t-il. C’est écrit dans ses yeux.

— Certains d’entre nous ne possèdent pas la faculté de déchiffrer les expressions de Sa Majesté.

— Moi, oui. Alors, fais-moi un peu confiance.

Onyx ne les écoutait même pas. Il ne regardait nulle part.

— Qu’est-ce que tu ressens, mon ami ? le questionna Hadrian en enlevant sa chemise.

— Ce n’est qu’une vague impression…

— Tu ne connais même pas la signification du mot « vague », le taquina-t-il.

Hadrian trempa le gros orteil dans l’eau.

— Elle est beaucoup moins froide que chez nous, les informa-t-il avant de plonger la tête la première dans les flots.

Tandis que les autres encourageaient l’ancien Roi d’Argent par voie télépathique pour ne pas être repéré par d’éventuels chasseurs Hidatsas, Onyx cherchait à identifier ce curieux sentiment qui l’envahissait. Il scruta la région à l’aide de ses sens invisibles, puis les cieux. Il alla s’asseoir sur le tronc d’un arbre fauché par la foudre et attendit patiemment le retour de son ami. Cornéliane ? appela-t-il encore une fois. Peu importe l’heure du jour ou de la nuit, sa fille ne lui répondait pas.

Tel qu’il l’avait promis, Hadrian apparut au milieu du groupe. Il essora ses cheveux en les enroulant en torsades et s’essuya le visage avec sa tunique avant de l’enfiler de nouveau. Quant à ses bottes de cuir, il préféra les porter sous le bras, car l’eau de son pantalon trempé continuait de dégouliner le long de ses jambes.

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais qu’on s’installe le plus rapidement possible pour la nuit afin de faire sécher mes vêtements.

Il emmena sur-le-champ ses quatre compagnons dans son vortex. Ils réapparurent de l’autre côté du fleuve en l’espace d’une seconde.

— Je propose que nous utilisions toujours cette méthode chaque fois que nous arriverons devant un cours d’eau, fit Dylan en passant la main au-dessus du sol. Ça y est, j’ai retrouvé la trace d’Anyaguara. Elle semble s’être dirigée vers le vallon entre ces deux montagnes.

Il n’y avait aucun boisé entre la rivière et la montagne, aucun endroit où se mettre à couvert pour la nuit. Alors, pour exaucer le vœu de son ami, Onyx sécha magiquement ses vêtements, puis exigea un effort supplémentaire de la troupe afin qu’elle se rende jusqu’à l’entrée de l’étroit passage. Personne ne s’y opposa. Tous comprenaient l’urgence de s’abriter des regards. Lorsqu’ils atteignirent enfin leur destination, la nuit avait enveloppé Enlilkisar. Ils allumèrent un feu magique et resserrèrent les couvertures autour de leurs épaules.

— Allons voir ce que mangent les Hidatsas, annonça Onyx.

Ses yeux s’immobilisèrent un instant, puis un gros morceau de venaison se retrouva au-dessus des flammes, encore piquée sur sa broche.

— Mais je ne mange pas de viande, se plaignit Jenifael.

— Elle aime toutefois le poisson, précisa Hadrian.

Onyx parvint à leur trouver un poisson entier qu’on faisait griller dans un autre village ainsi qu’un grand bol de petits fruits. Ils mangèrent sans se presser.

— On dirait que tout est particulièrement démesuré par ici, fit remarquer Dylan.

— C’est que nous n’avons que deux grandes montagnes à Enkidiev, soit la Montagne de Cristal et la montagne de Béryl, alors qu’à Enlilkisar, on n’arrive plus à les compter, expliqua Hadrian. Mais tout comme chez nous, le nord semble moins peuplé que le sud. Nous devrions revenir plus tard pour établir des relations commerciales avec les nations que nous venons de connaître.

— Moi, je préférerais les conquérir, laissa tomber Onyx.

— Je pensais que ces idées de domination étaient loin derrière toi.

— Je croyais t’avoir dit qu’un jour, je serai l’empereur du monde.

L’éclat de rire de Dylan détendit aussitôt l’atmosphère, mais Hadrian n’était pas aussi sûr que lui qu’il s’agissait d’une plaisanterie.

Ils passèrent toute la journée suivante à parcourir la petite vallée entre les deux montagnes pour finalement aboutir à une forêt beaucoup plus dense que toutes celles qu’ils avaient traversées jusqu’à présent. Ils devaient donc être deux fois plus prudents, car s’ils se fiaient aux jeunes chasseurs Hidatsas qu’ils avaient rencontrés, ils étaient probablement sur la terre des Anasazis. Ils ne savaient rien de ce peuple et ils ne voulaient surtout pas le provoquer avant d’avoir rempli leur mission.

À travers les larges troncs de cette forêt ancestrale, ils aperçurent un immense lac autour duquel étaient construits de petits villages. Pour une raison qui échappait aux voyageurs, ce peuple n’avait pas défriché les bois pour s’y installer. Il avait plutôt choisi des endroits découverts pour bâtir leurs longues maisons de bois. Hadrian regretta de ne pas avoir le temps d’échanger avec toutes ces cultures différentes, mais se promit de revenir.

Après deux jours entiers de marche, à contourner les troncs, les racines, les arbustes et les pierres recouvertes de mousse verte, les craintes d’Onyx prirent une forme plus tangible. Le craquement qu’ils entendirent tous aurait très bien pu être causé par un animal sauvage, mais les sens magiques des cinq voyageurs leur révélèrent qu’il s’agissait d’un être humain. Prends la gauche avec Jenifael, ordonna Onyx. Je pars à droite avec Dylan et Dinath. Hadrian hocha la tête pour dire qu’il avait compris son plan. Les deux équipes formèrent autour de leur proie un grand cercle qu’ils rapetissèrent graduellement. Lorsqu’ils fondirent enfin sur elle, ils la trouvèrent dissimulée dans un massif de fougères.

— Sortez de là ! ordonna Onyx.

Tremblant de tous ses membres, une jeune femme émergea de la végétation. Jamais les soldats n’avaient rencontré quelqu’un d’aussi peu vêtu. Le morceau de tissu qui soutenait sa poitrine était plutôt étroit. Couvert de petites pierres noires et argentées, il était attaché dans le dos et autour du cou par des cordons. Elle portait une culotte noire décorée de façon semblable qui laissait son ventre et ses longues jambes à découvert. Un voile noir transparent partait de sa taille et descendait jusqu’à ses chevilles à la manière d’une longue jupe et le bas de son visage était couvert de la même façon. On ne voyait que ses yeux bleus. Ses cheveux blonds comme le miel étaient attachés sur le dessus de la tête et retombaient dans son dos en une interminable queue de cheval.

— Si tous les Anasazis sont comme elles, alors je veux bien étudier leur culture, laissa tomber Dylan qui reçut aussitôt un coup de coude dans les côtes de la part de Dinath.

— Je vous en prie, ne me faites pas de mal…

— Qui êtes-vous et pourquoi nous suivez-vous ? demanda Hadrian.

— Je m’appelle Aydine et j’ai si faim que je mange vos miettes chaque fois que vous quittez un campement pour vous remettre en route.

— Pourquoi êtes-vous réduite à vous nourrir ainsi ?

— Je me suis enfuie de chez moi.

— D’un village là-bas, près du lac ? s’enquit Dylan.

— Non… J’arrive de très loin.

— Pourquoi êtes-vous partie ? voulut savoir Jenifael.

— C’est une longue histoire.

Puisqu’elle semblait inoffensive et qu’un examen magique sommaire confirmait qu’elle mourait de faim, Jenifael décida de lui faire confiance. Elle déposa sa couverture sur les épaules d’Aydine et lui proposa de marcher avec elle. Onyx se contenta de consulter Hadrian du regard. On ne peut pas la laisser au milieu de la forêt avant d’avoir entendu son récit, répondit celui-ci. « Et si c’était une ruse d’Azcatchi ? » se demanda le Roi d’Émeraude. Il signala à Hadrian de prendre les devants avec Dylan et ferma la marche, afin de tenir la jeune fille à l’œil.

Les clairières étant de plus en plus rares, lorsqu’ils en trouvèrent une suffisamment grande pour accueillir tout le monde, Hadrian décida de s’y arrêter, même si la nuit n’était pas encore tombée. Ils s’installèrent autour d’un feu magique et Onyx leur procura une fois de plus un repas satisfaisant. Aydine détacha le voile qui cachait son visage afin de pouvoir manger.

— Racontez-nous ce qui vous est arrivé, Aydine, l’invita Hadrian.

— J’étais une servante dans le palais du raïs Kaïpo.

— Qu’est-ce qu’un raïs ?

— C’est le plus important chef de toutes les tribus Madidjins.

— Madidjins ? répétèrent en chœur Jenifael, Dinath et Dylan.

— Vous les connaissez ? sembla s’inquiéter la jeune femme.

— De nom, uniquement, affirma Hadrian. On ne cesse de nous en parler depuis que nous avons entamé ce périple.

— C’est le peuple le plus puissant d’Enlilkisar.

— Pourquoi vous êtes-vous enfuie ? voulut savoir Dinath.

— Le raïs est un homme bon et juste, mais il ne sait pas tout ce qui se passe dans son palais. Je suis partie, parce que j’ai été victime d’une grande injustice.

— Il a voulu vous faire travailler ? la piqua Onyx.

Aydine lui décocha un regard noir, mais le Roi d’Émeraude n’était pas un homme facilement impressionnable. Il avait beaucoup de mal à croire que cette femme aux manières précieuses et à la peau parfaite puisse être une servante.

— À quoi cela me sert-il de poursuivre mon récit si vous avez déjà décidé de ne pas me croire ?

— Moi, je veux l’entendre, insista Jenifael.

— Chez les Madidjins, les mariages sont arrangés entre les familles.

— Même chez les domestiques ? s’étonna Onyx.

— C’est la coutume.

— Vous êtes partie parce que vous ne vouliez pas épouser le cuisinier ?

Aydine éclata en sanglots et cacha son beau visage dans ses mains.

— Laisse-la parler, Onyx, intervint Hadrian.

— Ne savez-vous pas ce qu’est l’amour ? pleurnicha la Madidjin.

— Vaguement… marmonna le Roi d’Émeraude entre ses dents.

Onyx… l’avertit plus sérieusement son ami.

— Évidemment que nous le savons, déclara Dinath en couvant Dylan des yeux.

— Je ne voulais pas me marier avec l’homme qu’on avait choisi pour moi, continua Aydine. Je veux vivre avec celui qui fait battre mon cœur.

Le jardinier ? se moqua Onyx en utilisant la télépathie pour ne pas donner une autre occasion à la Madidjin de se délester d’un torrent de larmes.

— Alors, je suis partie, malgré les grands dangers qui guettent tous ceux qui tentent de se soustraire à leur destin. Au début, il était facile de trouver de la nourriture dans les arbres, mais les autres pays ne sont pas aussi généreux pour les voyageurs.

— Je suis surpris que les Scorpenas ne vous aient pas dévorés, fit remarquer Hadrian.

— Son parfum est sans doute trop prononcé pour leurs narines, fit innocemment remarquer Dylan.

— Tiens donc, une servante parfumée, ne put s’empêcher de lancer Onyx.

— Peut-être ont-ils peur de toutes les clochettes cousues à ses vêtements, tenta de se reprendre Dylan.

— Chaque peuple a ses propres coutumes, se défendit Aydine.

— Elle a raison, l’appuya Jenifael. Nous sommes d’Enkidiev, de l’autre côté des volcans.

La Madidjin ouvrit de grands yeux effrayés.

— Mais il n’y a que des démons là-bas !

— En fait, ils vivaient encore plus loin, sur un autre continent qui porte le nom d’Irianeth. Nous les avons vaincus après des années de combats.

Jenifael lui décrivit les différents royaumes d’Enkidiev ainsi que leurs coutumes, pendant que ses compagnons terminaient leur repas.

— Que comptez-vous faire, maintenant ? voulut savoir la déesse.

— Je veux me rendre dans un pays où je demanderai asile.

— Si vous êtes descendue du nord, vous êtes forcément passée tout près des villages sur le bord du lac, conclut Hadrian. Pourquoi ne pas l’avoir fait là-bas ?

— Ce sont des gens primitifs qui vivent de chasse et de pêche. Ils n’ont même pas de roi.

— Il y en a un chez les Mixilzins, à l’ouest, indiqua Dinath.

— Je pensais plutôt me rendre jusqu’à Ellada où s’épanouit une civilisation raffinée.

— Nous marchons vers l’est, pas vers le sud, lui apprit Onyx. D’ailleurs, nous ne sommes pas des escortes et nous ne sommes pas à votre service.

— Je ne vous ai rien demandé de tel. J’avais seulement besoin de manger à ma faim avant de poursuivre mon chemin. Mais si vous allez vers l’est, je pourrais aussi m’adresser au Roi d’Agénor.

— Vous pouvez nous suivre, si vous le voulez, mais nous ne ferons aucun détour pour vous faire plaisir.

Hadrian comprenait que son ami désirait se rendre le plus rapidement à Pélécar, mais son manque de manière ne cessait jamais de le décourager.

Au matin, ils se remirent en route. Puisqu’elle était pieds nus, au bout d’une heure, Aydine commença à se plaindre des sentiers qu’ils empruntaient. Avant qu’Onyx l’expédie dans le lac, Hadrian se mit à chercher une solution pour mettre fin à ses incessants gémissements. Ce fut toutefois Dinath qui réagit la première. Elle se dématérialisa et réapparut cinq minutes plus tard avec des bottes en peau de serpent, qu’elle venait de subtiliser aux guerrières Mixilzins. Aydine les chaussa en remerciant à profusion la demi-Fée. Elle garda le silence pendant une bonne partie de la journée, puis recommença à manifester son mécontentement lorsqu’ils parvinrent à une seconde rivière, beaucoup plus petite que la première qu’ils avaient franchie.

— Il fait vraiment très froid, ici, dit-elle en grelottant.

Hadrian, qui était en sueur, lança un regard incrédule vers la Madidjin. En grand seigneur, il offrit sa cape à la jeune dame qui la jeta tout de suite sur ses épaules.

— On procède comme la dernière fois ? demanda Dylan.

— Avec plaisir ! s’exclama l’Argentais qui avait envie de se rafraîchir.

Il se dévêtit et plongea dans le paresseux cours d’eau, puis revint chercher ses amis. Ils s’enfoncèrent alors dans la forêt et ne s’arrêtèrent que le soir venu. Onyx trouva de la nourriture dans un village d’Anasazis, au sud. Tous lui témoignèrent leur reconnaissance, sauf la servante qui se comportait comme une princesse.

— Mais nous avons mangé exactement la même chose, hier, s’étonna-t-elle.

— Depuis quand les domestiques se plaignent-ils de ce qu’on leur offre à manger ? se fâcha Onyx.

— Il n’est pas nécessaire d’être membre de la royauté pour apprécier la bonne nourriture.

— J’en ai assez. Je vais la transporter à Itzaman avec mon vortex.

Il n’eut pas le temps de mettre sa menace à exécution que les arbres qui les entouraient se mirent à tomber bruyamment, comme si une énorme main invisible les écrasait sur le sol. Les aventuriers abandonnèrent leurs écuelles sur place et sondèrent les alentours, au milieu des cris de terreur d’Aydine.

— Ce n’est pas un phénomène naturel, indiqua Hadrian.

— Ça, on l’avait déjà deviné, répliqua Dylan.

— L’énergie provient du ciel, découvrit Dinath.

Un sourire de vengeance se dessina sur le visage d’Onyx.

— Resserrez-vous, ordonna Hadrian.

Ils se mirent dos à dos, en plaçant Aydine au milieu.

— Nous allons mourir ! geignit-elle. Ils vont tous nous tuer !

— Qui ça ? demanda Jenifael tout en scrutant la clairière qui venait de se créer autour d’eux.

— Faites-la taire, gronda Onyx qui avait du mal à se concentrer tant la jeune femme criait.

Dylan s’en chargea. Il se retourna, plaça une main lumineuse sur le front de la Madidjin et lui fit perdre connaissance. Aydine s’écroula sur les genoux, assommée.

— Manifestez-vous, espèce de sale lâche ! hurla Onyx.

Ils entendirent des battements d’ailes, semblables à ceux du dragon de Nartrach. Un crave, plus grand qu’un homme, se posa sans se presser.

— Comme on se retrouve, Roi d’Émeraude, le provoqua Azcatchi avec insolence.

— Rendez-moi les enfants que vous avez enlevés !

— Je n’ai pris qu’une seule fillette afin d’en faire un jour mon épouse.

Onyx sentit la colère monter en lui.

— En ce moment, elle se montre intraitable, mais dans quelques années, elle comprendra que c’était la meilleure chose qui pouvait lui arriver.

— Vous n’avez pas le droit de violer le traité ratifié par les chefs des panthéons célestes, lui rappela Jenifael.

— Les dieux peuvent faire tout ce qu’il leur plaît. C’est ce qui les différencie des humains primitifs.

— Que pourrions-nous vous offrir en échange de l’enfant ? demanda Hadrian, plus axé sur la négociation que sur la violence.

— Laissez-moi réfléchir…

Azcatchi sautilla sur les troncs des arbres déracinés en ouvrant ses longues ailes noires.

— J’aime bien le sang chaud.

Onyx baissa les yeux pendant une fraction de seconde sur la soi-disant servante évanouie à leurs pieds.

— Nous ne sommes pas des meurtriers, rétorqua Hadrian.

— Ce n’est pas ce que je lis en vous.

Le crave adopta sa forme humaine. Sa ressemblance avec Onyx était vraiment déroutante. Il avait la même forme de visage, les mêmes longs cheveux noirs, et à peu près la même carrure. Il portait lui aussi des vêtements sombres.

— Hadrian, emmène tout le monde loin d’ici, ordonna Onyx.

— Il n’est pas question que je te laisse faire une bêtise.

— Je vais nous débarrasser de ce monstre une bonne fois pour toutes et je suis persuadé que sa famille m’en félicitera.

— Onyx, c’est un dieu.

— Il ne me fait pas peur.

— C’est justement ce qui m’inquiète le plus.

— Partez, sinon vous risquez d’être tués, vous aussi.

— Tu n’es pas en train de songer au suicide…

Onyx se mit à avancer vers son adversaire en le regardant dans les yeux. C’est alors qu’il remarqua qu’ils n’étaient plus bleus comme les siens, mais plutôt rouges comme le sang.

— Qu’est-ce qu’on fait ? s’alarma Dylan.

— On ne peut pas le laisser seul avec un dieu fourbe, protesta Jenifael. Nous possédons tous des pouvoirs surnaturels. Je suggère que nous les utilisions pour l’aider à détruire Azcatchi.

— Si seul un dieu peut en anéantir un autre, alors tu devrais y arriver, Jeni, fit observer Hadrian.

— Je ne suis qu’en partie déesse, puisque mon père était humain, et je ne saurais pas quoi faire de toute façon.

— Si mon père m’avait laissé mes bracelets de foudre, cet oiseau de malheur n’aurait même pas pu s’approcher de nous, déplora Dinath.

— Où est Anyaguara lorsque nous avons besoin d’elle ? soupira Dylan qui craignait que leurs forces conjuguées ne soient pas suffisantes.

Malheureusement, Onyx s’était planté dans leur champ de tir.

— Écartez-vous lentement les uns des autres de façon à avoir une vue dégagée sur le dieu ailé, commanda Hadrian. S’il fait le moindre mouvement en direction d’Onyx, frappez.

— Et la Madidjin ?

— Tant qu’elle reste inconsciente, il ne lui arrivera rien.

Onyx s’arrêta à quelques pas du crave.

— Si vous ne me remettez pas volontairement ma fille, je vous terrasserai et j’irai chercher dans votre tête les renseignements dont j’ai besoin pour la retrouver.

— Non seulement vous insultez impunément des créatures qui vous sont supérieures, mais vous osez aussi leur faire des menaces ?

— J’ai également la réputation de les mettre à exécution.

— Tu n’as qu’à nous en donner l’ordre et nous l’attaquerons tous ensemble, lui fit savoir Hadrian.

— N’allez pas croire que je ne vous entends pas, fantôme du passé. Ces pouvoirs de pacotille sont pathétiques.

— Je vous ai demandé de partir, Hadrian.

— Désolé, mais nous avons décidé de te seconder.

— Vous ne méritez pas d’avoir des enfants, Roi d’Émeraude, lui dit Azcatchi sans se préoccuper des demi-dieux qui se positionnaient autour de lui. Vous êtes comme les soleils qui finissent par exploser en détruisant la vie sur les planètes qui les entourent.

Onyx faisait de gros efforts pour ne pas écouter ses paroles empoisonnées. Il devait se concentrer sur ses points faibles afin de les exploiter. Il captait l’énergie qui entourait son corps et qui le protégerait sans doute contre toute charge de sa part, mais rien n’était parfait dans l’univers. Onyx l’avait appris à ses dépens pendant ses deux vies. Il y avait certainement une faille dans cette image qu’il avait choisi de se donner.

— Vous avez fait fuir vos fils, car tout comme moi, vous n’acceptez pas qu’on vous désobéisse. J’ai rendu un fier service à Cornéliane en l’éloignant de vous.

— Vous ne savez rien de moi ! hurla le père, piqué au vif.

C’est alors qu’il ressentit une curieuse chaleur au milieu de la poitrine. Azcatchi était-il en train de le tuer tandis qu’il endormait sa vigilance avec ses propos ? Il tenta de se débarrasser de la gênante sensation, mais au lieu de disparaître, elle gagna ses jambes, puis ses bras.

— Réjouissez-vous, Roi d’Émeraude, puisque cette enfant régnera sur tout l’univers à mes côtés.

— Jamais ! hurla Onyx.

À la grande stupéfaction de ses amis, il se métamorphosa soudainement en un énorme loup au pelage noir ! Pour la première fois de sa vie, Azcatchi éprouva de la peur. Il se transforma en oiseau et voulut prendre son envol. Une douleur atroce lui traversa aussitôt le corps. Il baissa la tête et vit que le loup avait refermé ses crocs sur l’une de ses pattes. Seul un dieu pouvait infliger de telles souffrances à un autre dieu. Qui était cet homme qui gouvernait un royaume terrestre et qui ne semblait appartenir à aucun des trois panthéons ?

Azcatchi secoua les pattes pour se libérer du carnassier, mais les puissantes mâchoires de la bête ne voulaient pas lâcher sa proie. Battant furieusement des ailes, le crave fonça vers la forêt entraînant le loup avec lui.

— Onyx ! hurla Hadrian en s’élançant vers les combattants.

Le dieu ailé se mit à zigzaguer entre les arbres en frappant durement son assaillant contre les troncs. Au bout de quelques chocs violents, l’animal poussa une plainte sourde et retomba sur le sol, le museau en sang. Tenace, il se redressa aussitôt et donna la chasse à l’oiseau, allant même jusqu’à essayer de grimper dans les branches pour l’atteindre. Débarrassé de son agresseur, Azcatchi fila tout droit vers le ciel. Le loup, exténué, s’écroula dans les fougères.

Lorsque ses amis le retrouvèrent enfin, Onyx était couché face contre terre. Ses vêtements étaient déchirés en lambeaux et imbibés de sang.

— Par tous les dieux, s’étrangla Hadrian en le retournant sur le dos.

Il fut soulagé, en l’examinant, de découvrir qu’il était encore vivant après tous les mauvais traitements qu’il venait de subir.

— Tu es vraiment l’homme le plus coriace que je connaisse.

— Je vais aller chercher de l’eau pour le laver, offrit Dinath.

— Je connais une méthode plus rapide qui aura, en plus, l’avantage de le ranimer.

Hadrian prit son ami dans ses bras et marcha jusqu’à la rivière. Il enleva ses bottes et entra dans l’eau avec lui. Dès que celle-ci lui toucha le visage, Onyx se débattit.

— Doucement, mon frère…

— Es-tu en train d’essayer de me noyer ? se fâcha le Roi d’Émeraude.

— Je ne fais que te rincer du sang dont tu es couvert.

— Pourquoi est-ce que je saigne ?

Hadrian le ramena sur la berge et lui retira ce qu’il restait de sa chemise et de son pantalon. Seules ses bottes étaient intactes.

— Il va falloir te trouver des vêtements quelque part, soupira-t-il avec découragement.

— Je m’en occupe, annonça Dylan en disparaissant.

— Depuis combien de temps es-tu capable de faire ça, Onyx ?

— De faire quoi ?

— De te métamorphoser en loup.

Le regard ahuri du pauvre homme fit comprendre à Hadrian qu’il n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé. Il lui expliqua donc que son échange verbal avec le dieu-oiseau s’était terminé par sa soudaine transformation en loup et qu’un duel aérien avait suivi.

— Mais les loups ne sont pas des félins, répliqua Onyx, étonné. Corindon m’a dit que j’étais un descendant de Solis.

— Alors, il t’a menti.

— Mais Cornéliane a les mêmes taches que moi sur l’épaule.

— Azcatchi va avoir toute une surprise.

— Il pourrait aussi être tenté de la tuer avant qu’elle atteigne l’âge adulte…

Onyx voulut s’asseoir et grimaça.

— Où as-tu mal ?

— Partout.

Hadrian entreprit donc de sonder ses membres, un à un, pour refermer les lacérations, faire disparaître des hémorragies internes et même souder quelques os.

— Mais pourquoi un loup ? demanda-il tandis que son ami replaçait une fois de plus les vertèbres de son dos.

— J’aimerais bien le savoir moi-même. Dans tous les livres que j’ai lus sur les métamorphoses, il est bien mentionné que seules les créatures divines peuvent les réussir.

— Mais je t’ai dit que j’étais un dieu !

— Il n’y a que trois panthéons et aucun d’eux ne compte des loups.

— Es-tu certain que je ne me suis pas transformé en gros chat de race inconnue ?

— Je sais faire la différence entre un loup et une panthère, tout de même.

Dylan réapparut avec des vêtements qu’il avait dégotés chez les Mixilzins. Il aida Hadrian à habiller Onyx. Le pantalon de cuir n’était pas aussi souple que ceux auxquels ce dernier était habitué, mais il ne s’en plaignit pas, car il s’était mis à grelotter depuis quelques secondes. Ils lui firent enfiler une chemise à manches courtes cousue dans la même peau, puis, par-dessus, une armure semblable à celle que portait Napalhuaca, sauf qu’elle était toute noire.

— Là, vous allez trop loin, grommela Onyx.

— Aussi bien t’y habituer tout de suite, le taquina Hadrian.

— Je plaisantais quand j’ai dit que j’épouserais cette femme dangereuse !

— Tu lui as donné ta parole !

— Nous avons des visiteurs, les avertit Jenifael.

— J’imagine que tout ce qui vient de se passer ici a attiré les curieux.

Utilisant son vortex, Hadrian ramena le groupe à l’endroit où ils avaient laissé Aydine. Il la souleva dans ses bras et laissa à Jenifael et à Dinath le soin d’aider Onyx à marcher, tandis que Dylan prenait les devants pour flairer les traces de la sorcière.

— Je suis capable de marcher, grommela le roi.

Lorsque les deux femmes le laissèrent faire quelques pas seul, ses jambes se dérobèrent sous son poids. Elles le saisirent donc par les bras et le remirent debout.

— Dépêchons, les poussas Hadrian qui préférait rencontrer les Anasazis dans d’autres circonstances.

 

Les dieux ailés
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